A Brennilis, l’énigme résolue d’une contamination fantôme
octobre 2025
En 2008, une lentille de contamination radioactive, ne pouvant être assainie, est identifiée par EDF sous la centrale de Brennilis en cours de démantèlement. À l’issue des travaux menés par l’exploitant, le contrôle de l’IRSN vise notamment à confirmer qu’elle n’a pas migré. Pourquoi les mesures ne permettent-elles pas de reconstituer les simulations initiales faites par EDF? D’où provient cette contamination? L’énigme est levée en 2022.

Un mystère scientifique, finalement résolu, s’est noué sous le site de la centrale nucléaire de Brennilis (Finistère). En 2008, lors du chantier de démantèlement de la centrale, EDF y sonde le sol, sous le radier1 de l’ancien bâtiment de la station de traitement des effluents, à la recherche de contaminations radioactives. Ses carottages révèlent, à trois mètres environ de profondeur, une lentille de contamination par divers radionucléides, notamment du césium 137. La déconstruction des murs et l’assainissement superficiel du terrain se poursuivent jusqu’en 2018. En septembre 2018, l’exploitant présente à l’autorité de sûreté son dossier d’assainissement partiel. L’IRSN2 est chargé d’effectuer un contrôle dit de niveau 2, destiné à vérifier que les objectifs d’assainissement sont bien atteints, et que l’ampleur et la composition de la lentille correspondent bien aux modélisations effectuées par EDF. S’appuyant sur les mesures de radioactivité réalisés par l’exploitant, l’IRSN réalise une cartographie gamma de surface, en juillet 2019, pour vérifier les niveaux de radioactivité. L’institut recommande un complément d’assainissement sur une zone limitée.

Reconstituer la lentille
Reste cependant la lentille radioactive, en profondeur, que l’électricien ne peut enlever sans y consacrer des ressources disproportionnées. La nappe phréatique, sous le radier, est cependant trop haute la plus grande partie de l’année pour que les spécialistes puissent réaliser de nouveaux forages complémentaires de ceux réalisés par l’exploitant, et contrôler l’état de cette contamination souterraine. S’est-elle constituée par infiltration d’eau contaminée du radier ? « Avec un modélisateur du Laboratoire de recherche sur les transferts dans les sites et sols pollués (LT2S), nous avons essayé de reconstituer la forme et la taille de cette lentille à partir des niveaux de radioactivité connus en surface, des paramètres hydrodynamiques du site et de la réactivité des différentes couches du sol », explique Frédéric Coppin, spécialiste des transferts des radionucléides dans les sols. Ils testent différents scénarios, modifiant les vitesses d’écoulement de l’eau et la réactivité des couches géologiques. Rien ne marche. « Aucune de nos hypothèses ne permet de retrouver le profil de contamination mesuré par EDF sur le site », observe-t-il. Des modèles de pointe, simulant des processus hors-équilibre, sont également testés. Sans plus de succès.

La géostatistique à la rescousse
A l’automne 2020, les conditions météorologiques font redescendre la nappe phréatique. L’IRSN peut faire réaliser des forages… en nombre limité. « Ces forages, puis les mesures effectuées derrière, sont longs et coûteux. Nous devons optimiser leur nombre pour reconstituer correctement la forme de la lentille sans gaspiller pour autant nos ressources », rappelle Cyril Huet, expert en mesures radiologiques. Reprenant les données de l’exploitant, un géostatisticien détermine, par interpolation, combien de prélèvements sont nécessaires pour reconstituer la forme de la lentille obtenue par EDF avec un bon niveau de confiance. Son étude fixe à douze le nombre de forages optimal : certains reprennent des points déjà mesurés par l’électricien, d’autres explorent des zones supposées sans activité pour délimiter les frontières de la lentille, les derniers s’attardent sous les points chauds identifiés par la cartographie de surface. Le protocole de forage est lui-même déterminé par un géologue de l’IRSN, à partir des caractéristiques précises du sol.
L’analyse des carottes surprend tous les experts : aucune ne révèle d’activité significative. Pourquoi ? Les forages, par un hasard très improbable, auraient-ils tous été effectués aux endroits non contaminés du sous-sol ? « Notre géostatisticien refait ses calculs, en essayant des milliers de formes de lentille cohérentes à la fois avec les résultats d’EDF en 2008 et avec les nôtres. Il détermine qu’il y avait moins d’une chance sur mille qu’une telle forme soit possible », expose Cyril Huet.

Une contamination croisée
La contamination se serait-elle naturellement diluée, par lessivage des eaux souterraines, au gré des montées et descentes successives de la nappe ? Les modélisations montrent que cette hypothèse est à son tour très improbable, aucun niveau anormal de césium n’étant détecté autour du site par l’industriel depuis 2008. Alors quoi ?
« Nous avons réanalysé les résultats des carottages d’EDF de 2008 », enchaîne l’expert en mesure radiologique. Ces carottages sont réalisés par forages successifs : un premier sondage est réalisé sur deux mètres, pour extraire une première carotte. Puis un deuxième forage, plus profond, en extrait une nouvelle de deux mètres, et ainsi de suite. Trois à quatre carottes sont ainsi récupérées par forage, pour analyse. Or, la contamination se retrouve systématiquement en début de chaque nouveau carottage. Un expert en forage analyse alors le protocole suivi en 2008 par EDF et détecte un biais : la contamination probable de l’échantillon, à chaque changement de tube de forage, par la radioactivité présente à la surface du radier. Une hypothèse jugée de très loin comme la plus vraisemblable, comme le relève l’avis publié en 2022. Le mystère est levé. « Cette conclusion démontre l’intérêt d’un vrai contrôle scientifique indépendant, apportant une vision différente et complémentaire de celle de l’exploitant », en déduit Cyril Huet.

1 : Le radier est le plancher en béton de l’installation.
2 :L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a fusionné le 1er janvier 2025 avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour constituer l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR).
Pour en savoir plus
Avis IRSN n°2020-00057 : NB n°162 – EDF-EL4-D (Brennilis)
Assainissement des sols situés sous l’ancienne station de traitement des effluents – Vérification de l’atteinte des objectifs d’assainissement
AVIS IRSN N° 2022-00028 : INB n°162 – EDF-EL4-D (Brennilis)
Assainissement des sols situés sous l’ancienne station de traitement des effluents – vérification de l’atteinte des objectifs d’assainissement