Un « serious game » sur les déchets radioactifs
Et si un bouleversement politique survenait ? Et s’il n’y avait plus d’argent ? Et si le site de stockage était attaqué ? À l’occasion d’un débat public, des étudiants ont mis à l’épreuve des stratégies de gestion des déchets radioactifs au moyen d’un outil inattendu : un jeu de plateau.

1. Quel est le profil des participants ?
Paris, le 25 mai 2019, une grande salle rassemble plusieurs tablées. Angelo, Raja, Gaëtan, Yasar et Léa sont assis à la même table. Devant eux, des cartes et plateaux de jeu. Pendant trois heures, ils vont jouer à un « serious game1 ». Ils soumettront des stratégies de gestion des déchets de haute et moyenne activité à vie longue (HAVL) à divers scénarios, puis confronteront leurs points de vue. Angelo Kohou et Raja Zoghlami suivent un master de management environnemental à l’université d’Aix-Marseille (Bouches-du-Rhône). Gaëtan de Lorgeril étudie l’ingénierie nucléaire à l’université de Grenoble (Isère) et Yasar Aslan se forme en génie des installations nucléaires à l’ISTP de Saint-Étienne (Loire). Enfin, Léa Gonnet suit un master « Science et société : histoire, philosophie, sociologie et médiation des sciences » à Strasbourg (Bas-Rhin). Pour recruter les participants, un appel à volontaires national a été lancé en direction de tous types de formations universitaires : dans les cursus liés au nucléaire, à l’environnement, aux sciences humaines et sociales et dans les instituts d’études politiques qui forment les décideurs de demain. La durée de vie des déchets nucléaires implique les générations futures dans des proportions inédites. La participation des jeunes est indispensable au débat2.
1.Baptisé PEP pour « Pathway Evolution Process », ce « jeu sérieux » a été créé dans le cadre du projet Sitex pour les déchets HAVL, puis décliné à la gestion des déchets TFA par l’IRSN et la société Mutadis.
2.Débat public sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). Il est organisé par la Commission particulière du débat public (CPDP).
2. Comment se déroule le « serious game » ?

Léa construit son scénario en posant des cartes sur un plateau : « Dans cinquante ans, nous sommes dans une phase de stockage intermédiaire et une galerie souterraine s’effondre. » À tour de rôle, ses voisins évaluent l’impact de la situation. À l’issue de la partie, les points de vue se confrontent. Pour Angelo, il faut aller rapidement vers le stockage géologique profond. D’autres estiment plus sage d’attendre pour laisser des alternatives émerger grâce à la recherche. Les joueurs sont unanimes sur la nécessité d’une solution réversible : « Pas question de fermer définitivement la porte avec du ciment. Nous ne sommes plus dans les années 1970 », s’exclame Yasar.
3. Quels sont les objectifs de cette séance de jeu ?

« L’enjeu n’est pas d’arrêter un choix ou d’opter pour une solution. Il s’agit avant tout de donner des clés pour comprendre et des outils pour débattre », souligne Delphine Pellegrini, experte IRSN en charge des déchets radioactifs. « Souvent, chacun juge que seule sa position est responsable. Le jeu permet d’examiner avec bienveillance les autres points de vue et de comprendre qu’il peut y avoir plusieurs positions tenables », précise Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, impliqué dans le projet Sitex1. « Nous ne sommes pas d’accord, mais nous ne sommes pas opposés », résume Angelo après trois heures d’échange.
1. Réseau international d’expertise publique sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs.
4. Qu’apporte la démarche ludique au débat ?

Comme ses collègues venus de Belgique, Julien Dewoghélaëre, membre du réseau Sitex1, anime une table de jeu avec des gestionnaires de risques environnementaux, un ingénieur en énergie nucléaire et un militant écologiste. « Le jeu collaboratif dépassionne les échanges et garantit à chacun la parole et l’écoute. », explique le facilitateur, qui note la montée en compétences des étudiants. « Je ne connaissais rien au nucléaire, poursuit Marie Belluga, étudiante en ingénierie et management des risques en santé, environnement et travail à Rennes (Ille-et-Vilaine). Le jeu aide à cerner les enjeux et à disposer de clés pour réfléchir et débattre. Je repars avec un avis éclairé sur le stockage géologique des déchets. » Le « serious game » favorise l’interdisciplinarité. Il permet d’identifier ce qui fait un bon processus de décision compte tenu de la complexité des enjeux.
5. Quel est le bilan de la journée ?

« Il y a eu un vrai dialogue entre les spécialistes et les non-initiés, dont je faisais partie, indique Daniela Mora Salguero, qui étudie la gestion des sols, déchets et sites pollués à l’université d’Aix-Marseille. Je connais maintenant les avantages et les inconvénients des différentes stratégies. J’ai fait valoir mon point de vue; nous ne pouvons laisser aux générations futures le soin de trouver des solutions. » À la table voisine, à l’issue d’une dernière partie, les échanges portent sur la difficulté à construire un processus de décision. Qui consulter : les habitants du site de stockage, toute la population, les spécialistes? Qui va décider ? Léa interroge ses pairs « Pensez-vous que ce type de dispositif serait utile dans votre cursus pour identifier les enjeux politiques et sociaux derrière les choix techniques? » Tous acquiescent.
Reportage photo : © Noak/Le Bar Floréal/Médiathèque IRSN
Article publié en octobre 2019