Contamination lors d’une injection : comment gérer les risques liés à l’extravasation ?
Lors de l’injection d’un médicament, celui-ci peut se diffuser en dehors de la veine. C’est l’extravasation. Quelles sont les recommandations pour prévenir cet incident et comment prendre en charge le patient s’il s’agit d’un médicament radiopharmaceutique ?
TÉMOIGNAGE - Perrine Tylski : « Si une extravasation est suspectée, le traitement est interrompu »
Dans la matinée du 21 septembre 2017, une personne de 70 ans est admise dans notre service pour recevoir une première perfusion lente de lutathera1. Elle vise à traiter une tumeur de l’intestin grêle. L’injection est sur le point de s’achever lorsque l’infirmière supervisant l’acte médical constate un gonflement dans le pli du coude gauche du patient. Face à la suspicion d’extravasation, le traitement est immédiatement interrompu. Le bras est surélevé et enveloppé dans des pansements chauds pour favoriser la diffusion de la radioactivité. Une première scintigraphie de contrôle est réalisée dans la foulée. L’extravasation est confirmée au niveau du membre supérieur. À partir de la dose de Lutathera injectée, de la première scintigraphie et d’une seconde réalisée cinq heures après l’injection, je réalise une estimation approximative de la dose absorbée au niveau du bras de 12 Gy2 en fin de journée. Je communique ces informations aux experts de l’IRSN, qui réalisent une estimation indépendante, proche de la mienne. Le risque de nécrose – observé pour des doses supérieures à 20 Gy – et la nécessité d’un rinçage chirurgical sont alors écartés. Malgré ce résultat, nous demandons au patient de se masser le bras à plusieurs reprises durant la nuit, afin que le médicament continue à se disperser dans l’organisme. Le lendemain matin, deux scintigraphies de contrôle sont réalisées. Elles montrent que la radioactivité a été presque totalement évacuée du bras. Le patient peut rentrer chez lui. Il revient dans le service six jours, puis trois semaines après l’incident pour surveiller l’éventuelle apparition de séquelles liées à l’irradiation. Aucune n’a été détectée.
1.Ce médicament radiopharmaceutique associe un atome de lutécium 177 à une molécule destinée à être capturée par des récepteurs chimiques situés à la surface des tumeurs.
2.Exprimée en gray (Gy), la dose absorbée représente l’énergie que l’atome radioactif transmet à la partie du corps avec laquelle il entre en contact.
INFOGRAPHIE - Extravasation : les mesures immédiates à prendre en cas d'incident
Qu'est-ce qu'une extravasation ? Quelles sont les recommandations en matière de prévention et de prise en charge après extravasation d'un médicament radiopharmaceutique ?
AVIS D'EXPERT - Aurélie Desbrée : « Nous réalisons un calcul précis de la dose »
« Lorsqu’une extravasation est détectée, un calcul de dose est réalisé à l’hôpital. Le médecin, radiopharmacien ou physicien médical peut contacter l’Unité d’expertise en radioprotection médicale (UEM) via la plateforme Rpmed pour bénéficier de l’aide de l’IRSN. Nous réalisons un calcul précis de la dose reçue par le patient, à partir du niveau d’activité et du volume du médicament radiopharmaceutique (MRP). De spécialités différentes – physique et médecine nucléaire, chimie… –, nous disposons d’un savoir-faire en calcul de dose et connaissons les cas d’extravasation passés. Nous précisons la marche à suivre pour optimiser la prise en charge du patient. En 2018, l’Institut a formé des physiciens médicaux pour leur apprendre à réaliser eux-mêmes une évaluation dosimétrique précise. L’Institut et la Société française de radiopharmacie (SoFRa) devraient participer à un groupe de travail. L’objectif est de mettre à la disposition des professionnels des procédures pour limiter le risque d’extravasation. Une initiative importante compte tenu du développement actuel de la radiothérapie interne vectorisée, utilisant un éventail large de MRP. »
INFORMATIONS PRATIQUES
Une traçabilité obligatoire
Toute extravasation significative doit être déclarée sous deux jours à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) via le portail dédié aux signalements des événements significatifs pour la radioprotection (ESR). Si elle est en lien avec le matériel utilisé pour l’injection, une déclaration de matériovigilance est transmise par l’établissement à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). L’IRSN peut également être informé dès lors que l’extravasation implique un MRP à usage thérapeutique.
Mettre l’accent sur la prévention
Pour limiter le risque d’extravasation associé à l’injection d’un MRP, la voie veineuse doit d’abord être testée par vérification du retour veineux. Le site d’injection doit être bien choisi et le cathéter de diamètre adapté. Tout au long de la perfusion, il s’agit de surveiller certains signaux d’alerte : sensation de picotement, apparition d’une rougeur autour du point d’injection… Au moindre problème, il faut arrêter l’injection pour éviter une complication.
Un accident exceptionnel
- 1,5 million d’injections de produits radioactifs ont lieu en France chaque année dans les services de médecine nucléaire.
- 2 à 5 cas d’extravasation associés à des lésions tissulaires sont signalés chaque année auprès de l’ASN (probable sous-estimation). Parmi la soixantaine d’incidents répertoriés depuis 2010, la plupart sont restés sans conséquence notable pour le patient. À l’exception d’une extravasation impliquant l’usage d’yttrium 90, survenue en 2015, aucun cas n’a nécessité une intervention chirurgicale.
BIBLIOGRAPHIE
Barré E. et al. (2013), Extravasation des médicaments radiopharmaceutiques : mesures préventives et prise en charge recommandées par la SoFRa. Annales pharmaceutiques françaises, 71(4):216-224.
Van der Pol J. et al. (2017), Eur J Nucl Med Mol Imaging.
CONTACTS
Article publié en janvier 2020