Tritium dans la Loire : une nouvelle étude avec la société civile
Parmi les missions des commissions locales d’information (Cli), figure le suivi de l’impact sur l’environnement des installations nucléaires. En 2019, la Cli de Chinon (Indre-et-Loire) est informée d’un taux anormal de tritium relevé dans la Loire par un laboratoire indépendant. L’Institut est sollicité, une enquête déclenchée.
1. Pourquoi engager une étude ?
Le 21 janvier 2019, un collectif de préleveurs citoyens recueille un échantillon d’eau du fleuve lors d’une campagne de suivi de la radioactivité. Collecté à Saumur en Maine-et-Loire, à environ 20 km en aval de la centrale de Chinon (Indre-et-Loire), l’échantillon est analysé par le laboratoire de l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro).
Il présente une concentration en tritium de 310 Bq/L, une valeur très supérieure1 à celles mesurées habituellement par l’IRSN et EDF. Ce taux anormal est-il dû à un incident ou à un rejet plus important de la part de l’exploitant ? Il est évoqué en réunion plénière de la Cli de Chinon.
« À l’issue de cette réunion, à laquelle participaient des représentants de l’Autorité de sûreté nucléaire [ASN] et de l’IRSN, une première enquête2 est menée par l’Institut pour tenter de déterminer l’origine de cette concentration inhabituelle », se souvient Fabrice Boigard, président de la Cli et élu au conseil départemental. Ces investigations – fondées notamment sur des modélisations – identifient des causes possibles.
L’Institut réalise, de novembre 2020 à avril 2021, une étude basée sur une campagne importante de prélèvements et de mesures, dans des conditions similaires à celles de janvier 2019.
1. D’après le rapport de l’Acro www.acro.eu.org
2. Lorsque le niveau de tritium dans l’eau d’un fleuve dépasse 100 Bq/L, des investigations sont engagées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
2. Qu’attendre de cette campagne ?
Plus de 1 000 échantillons sont collectés au même endroit qu’en janvier 2019. Ils sont réalisés pendant cinq mois, à raison de sept prélèvements par jour. À l’époque, le débit du fleuve était cependant plus faible. Qu’en est-il de la reproductibilité ?
« Bien que cette différence risque de compromettre une partie de l’intérêt de l’étude, nous espérons qu’elle permettra tout de même de mieux comprendre la dynamique de dilution des rejets radioactifs », observe Mylène Josset, coordinatrice du laboratoire de l’Acro.
Pour Dominique Boutin, membre du collège des associations de protection de l’environnement de la Cli de Chinon, « la mise en œuvre d’une telle étude témoigne de la reconnaissance, de la part des autorités de contrôle, de notre capacité à mettre en évidence des défaillances dans le système de suivi des rejets radioactifs des CNPE [centres nucléaires de production d’électricité] ».
3. Quel est le rôle du comité de suivi ?
Le comité de suivi accompagne en toute transparence les investigations de l’IRSN, en partageant des informations sur le déroulement de l’étude, en assistant à certains prélèvements, en présentant et interprétant les résultats des mesures, des modélisations...
« Il offrait surtout l’opportunité de participer à la réflexion et à l’analyse des données avec les représentants d’autres Cli », remarque Mylène Josset.
Au début et au milieu de la campagne, deux réunions sont organisées par l’Institut pour présenter les résultats de l’étude au fur et à mesure de leur acquisition. En mars 2021, une troisième expose le détail des mesures et les modélisations pour les mois de novembre 2020 à février 2021. La quatrième, présentant les résultats sur toute la durée de l’étude, s’est tenue le 28 juin dernier.
4. Le comité répond-il aux attentes de la société civile ?
Si l’Acro salue l’effort de transparence de l’IRSN sur l’étude, elle regrette que le comité de suivi n’ait pas eu la possibilité de participer à son élaboration. « Afin d’améliorer la modélisation de la diffusion du tritium, il nous paraissait important que le suivi se fasse en d’autres points du fleuve situés en aval du CNPE de Chinon, mais aussi en amont et en aval de la confluence avec la Vienne », indique Mylène Josset. L’implication des « citoyens-préleveurs » du collectif Loire Vienne Zéro nucléaire aurait été pertinente, estime Dominique Boutin. Ses membres proposaient d’espacer les prélèvements tous les trois jours pour un suivi du tritium sur une année entière, à budget estimé égal. « Cela aurait permis de mieux connaître la diffusion des radionucléides dans le fleuve, notamment en période d’étiage3, pas seulement en période hivernale. » Cette suggestion ayant été écartée, le collectif s’est retiré du comité de suivi.
3. Débit minimal d’un cours d’eau.
5. Quelles perspectives après l'étude ?
« En croisant les résultats de l’étude avec les dates et les niveaux de rejets radioactifs communiqués par l’exploitant, l’IRSN devrait améliorer son modèle de simulation de la diffusion du tritium dans la Loire », précise Jean-Claude Amiard, spécialiste en radioécologie associé à l’Anccli.
Sur quelle distance et comment s’opère la dilution des rejets à partir de la clarinette4 et en aval, en fonction des conditions hydrauliques de la Loire ? Peut-on maintenir en l’état le protocole de rejet de la centrale ? Des images thermiques captées par le collectif Loire Vienne Zéro nucléaire au niveau de la clarinette semblent montrer que ces effluents se mélangent de façon inhomogène aux eaux du fleuve.
« Il est fondamental d’améliorer la compréhension des transferts des rejets de tritium en aval des centrales, afin de mieux appréhender la surveillance de ces sites, pense la coordinatrice du laboratoire de l’Acro. C’est une question de sûreté et de protection des citoyens et de l’environnement. »
4. Conduite percée d'une dizaine d'orifices perpendiculaire à l'axe du fleuve pour favoriser la dilution des rejets d'une centrale.
Pour en savoir plus
Conclusions et recommandations de l’IRSN, 4e réunion du comité de suivi www.irsn.fr/Saumur-CS4
Article publié en septembre 2021