Centrales nucléaires : le contrôle aux portiques s’améliore

Avril 2020

La chaîne de contrôle radiologique dans chaque site nucléaire assure-t-elle la protection des personnels ? Évite-t-elle la dissémination de la radioactivité dans les centrales comme à l’extérieur ? Les experts évaluent les équipements et les procédures. L’objectif est d’améliorer la traçabilité des contrôles individuels et de vérifier les paramètres de réglages de certains portiques. 

Xavier Lefranc, expert de l’IRSN, passe le contrôle du portique C2 lors d’une visite de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher). - © Laurent Zylberman/Graphix-Images/Médiathèque IRSN

Au Blayais, en 2015, un intervenant est contaminé au visage par une poussière radioactive. La dose estimée, réalisée avec des hypothèses pénalisantes, a été d’environ trois fois la dose à la peau règlementaire (500 mSv sur le cm² de peau le plus exposé). À Cattenom en 2019, un outil contaminé au cobalt 60 (29 kBq) est détecté en dehors de la zone contrôlée ; il est par conséquent conservé à l’intérieur du site conformément aux procédures. « Depuis 2012, en moyenne, deux incidents par an de contamination à la peau redevables d’une déclaration sont survenus pour 50 000 passages de C2 par an et par tranche », précise Patrick Jolivet. Cet expert en radioprotection a coordonné l’étude de l’IRSN publiée fin 2018 (voir Pour en savoir plus) sur la métrologie du contrôle radiologique des personnes et des petits objets dans les centrales. Elle est assortie d’une quinzaine de recommandations portant sur la doctrine de contrôle radiologique et les performances des appareils associés. Elle examine une série d’événements de radioprotection, relatifs aux contrôles de contamination¹, survenus entre mars 2014 et novembre 2015. Comment assurer la sécurité des personnes intervenant sur les 19 sites nucléaires français et éviter que leurs allées et venues ne provoquent une dissémination radiologique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des centrales ? Pour atteindre ces objectifs, Électricité de France (EDF) a engagé depuis 2008 le déploiement de portiques de contrôle radiologique de nouvelle génération en sortie de zone contrôlée. Les procédures de radioprotection sur les sites des 58 réacteurs en exploitation s’appuient sur des équipements de contrôle radiologique fixes jalonnant le parcours des intervenants (voir infographie p7). Le premier portique – C1 – sépare la zone de travail et le vestiaire situé en zone nucléaire ; le portique C2 est à l’entrée du vestiaire en zone non nucléaire ; le C3 est en sortie de site. 

Construire une vision d’ensemble

À la suite de déclarations de contamination et d’un taux élevé de fausses alarmes sur ces portiques C2 de certains sites, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a saisi l’IRSN. Des détections en C3 sans déclenchement préalable en C2 avaient également été enregistrées. Ben Mekki Ayadi, expert en radioprotection de l’Institut, a exploré les données de plusieurs milliers de déclenchements en portiques C2 et C3. Son objectif est de comprendre le lien éventuel entre des événements survenus à différentes étapes de la chaîne de contrôle. « Nous avons désormais une vision globale des déclenchements. La traçabilité accrue des parcours individuels en cas de détection de contamination est un axe d’amélioration pour l’exploitant », souligne-t-il. Il semble nécessaire, en cas d’incident, de retracer par quels portiques est passé le travailleur afin d’identifier d’éventuelles défaillances. Les experts en métrologie cherchent à comprendre si le paramétrage du système de contrôle est en cause. « Les incidents sont très peu nombreux au vu du nombre de passages. Nous demandons à EDF de conduire des tests supplémentaires démontrant que leurs étalonnages sont fiables », déclare Nicolas Brisson, ingénieur en radioprotection. Car un facteur complique la mesure : le bruit de fond radiologique. « Les valeurs visées sont si basses que l’ambiance seule peut perturber la mesure », explique Patrick Jolivet. La limitation de ce bruit de fond naturel et l’harmonisation de l’organisation – cohérence des pratiques, implication du service de radioprotection dès l’amont des procédures – font l’objet de la plupart des recommandations du rapport. EDF a initié deux actions correctives : blinder et optimiser les détecteurs de certains sites et instaurer une ligne de discrétion évitant que les personnes en attente ne perturbent les mesures en cours. Leur mise en œuvre requiert un compromis entre sûreté et durée des contrôles, parfois vécus comme une contrainte par les personnels sur le terrain. 

1. Les événements significatifs dans le domaine de la radioprotection sont les incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. 
2. Le Bq/cm² est une mesure d’activité surfacique, utilisée pour estimer la dose reçue à la peau. 

Cette opératrice accède à l’entrée du bâtiment réacteur de l’unité de production à Golfech (Tarn et Garonne) en mode Everest, abréviation de « Évoluer VERs une Entrée Sans Tenue universelle ». - © EDF - La mission communication de Golfech
Pour intervenir dans le bâtiment du réacteur d’une centrale, une tenue de protection étanche ventilée avec un heaume ventilé est de rigueur. - © EDF - Guillaume Murat
Le portique C1 est un passage obligatoire pour sortir de la zone contrôlée. - © Laurent Zylberman/Graphix-Images/Médiathèque IRSN

3 QUESTIONS À… Marc Lestang Expert en métrologie radioprotection, EDF

Marc Lestang, expert en métrologie radioprotection, EDF - © Émilie Lestang

Quelle place a l’expertise IRSN chez EDF ? 

Elle a toute sa place dans notre démarche de management de la sûreté. Malgré le travail amont mené avec les fabricants pour la qualification opérationnelle du matériel, un déploiement, comme celui du portique C2 de nouvelle génération, demande parfois des adaptations lors de la mise en oeuvre. Notre process a repéré des difficultés d’exploitation liées aux bruits de fond élevés sur certains sites. Ce fut le cas du centre de Flamanville. Nous avons pris des mesures spécifiques : blindage et optimisation des détecteurs. L’évaluation de l’IRSN nous amène à questionner nos acquis et à confronter notre expertise et celle des constructeurs, à celle d’experts externes. 

Quel dialogue avec les experts ? 

Dresser un état des lieux des pratiques et retracer leur histoire conduit à se reposer certaines questions. Nous avons été amenés à envisager différemment les essais de caractérisation des performances et les limites de détection, sur lesquels s’interrogeaient les experts. Nous avons échangé en gardant à l’esprit qu’il est difficile – même sur le plan international – de s’accorder sur leur normalisation. 

Quelles suites à ces recommandations ? 

Le dialogue continue. Le déploiement et l’exploitation dans des conditions industrielles des contrôles radiologiques – dont la conception est proche de celle d’instruments de laboratoire – nécessitent des optimisations. Tout changement dans cette chaîne requiert une évaluation préalable des impacts, puis un travail de sensibilisation et de pédagogie sur le terrain. Dans notre parc, il y a plusieurs centaines de portiques C2 et jusqu’à 3 000 intervenants à contrôler sur certains sites. On mesure donc à quelle échelle se pose cette problématique ! 


AILLEURS - Douanes et aéroports : contrôle des bagages et des marchandises

Le camion scanner mobile des douanes françaises. - Contrôle des bagages dans un aéroport. - © Noak/Le Bar Floréal/Médiathèque IRSN - Gwen Le Bras pour Groupe ADP

Hors des centrales nucléaires, la radiodétection intervient dans le contrôle des bagages et marchandises, aux douanes et dans les aéroports. Objectif : acquérir une image des contenus sans ouvrir les contenants et repérer des objets illicites comme de la drogue ou des explosifs. Dans les aéroports, le contrôle nécessite un appareil d’inspection, enceinte blindée renfermant un ou plusieurs générateurs électriques de rayons X. L’énergie du faisceau – émis seulement en présence d’un objet au sein de l’appareil – varie selon les dimensions des produits à contrôler. La douane française utilise des camions scanners mobiles munis d’une autorisation quinquennale de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), après avis de l’IRSN. Pesant près de 22 tonnes, ils scannent les conteneurs de marchandises en métal. L’utilisation de ces deux types d’installations nécessite des opérateurs ayant un certificat d’aptitude à manipuler les appareils de radiologie industrielle (Camari). Délivré par l’Institut, il est valable cinq ans. 

Pour en savoir plus

« Réacteurs électronucléaires EDF - Métrologie du contrôle radiologique des personnes et des petits objets » www.irsn.fr/Avis-2018-328 

www.irsn.fr/camari 


INFOGRAPHIE - Les recommandations de l’IRSN pour renforcer la chaîne de contrôle

Pour éviter la dissémination radiologique, la circulation à l’intérieur et en sortie d’une centrale comprend quatre étapes principales de contrôle. En tenant compte de l’ensemble de cette procédure, les experts formulent des recommandations pour les étapes 3 et 4. Elles portent par exemple sur la limitation du bruit de fond radiologique et la vérification des paramétrages.

© Art Presse/ABG Communication/Médiathèque IRSN/Magazine Repères